Par petits groupes, elles se dorent le pelage au soleil dans les « barins » aux couleurs de savane médocaine. Fauvette, elle, a préféré une zone ombragée de la réserve naturelle nationale de l’étang de Cousseau. Elle est l’une des trente-deux vaches de la race Marine landaise (lire ci-contre) à faire leur vie ici, dans cet îlot de six cents hectares auxquels s’ajoutent des terrains périphériques acquis par le Département de la Gironde, la commune de Lacanau et le Conservatoire du littoral. Soit un total de plus de huit cents hectares. Ce n’est qu’un confetti de préservation, avec un étang au milieu, une partie du marais de Talaris et la forêt dunaire, entre le canal des étangs à l’est et le littoral océanique à l’ouest.
Une boucle de visite
et des tours
Au cœur d’un paysage de dunes anciennes, c’est un trésor de diversité floristique et d’essences d’arbres qui tranche avec la monoculture environnante de la pinède Si le néophyte a peu de chance d’apercevoir une loutre, l’intérêt du lieu est de prendre le temps d’observer, de préférence avec des jumelles, les nombreuses espèces d’oiseaux, migratrices notamment, qui trouvent ici le gîte et le couvert. Au belvédère créé en 1994 est venue s’ajouter en 2015 une première tour d’observation, dite tour de Lesperon, suivie d’une deuxième en 2019, la tour de Galip. Le « galip » désignant le fin copeau de l’aubier du pin maritime arraché au tronc par le gemmeur, à l’aide de son « hapchot ». Ces trois espaces permettent de canaliser le public tout au long du sentier d’interprétation.
Pour accéder à l’étang de Cousseau, on laisse d’abord son véhicule motorisé sur le parking de Marmande, situé en bordure de la route départementale, entre Lacanau-Océan et Carcans-plage. Quelques minutes de marche vers l’est, avec le mugissement de l’océan derrière soi, et l’on est déjà dans l’ambiance paisible. Dommage que la piste cyclable, ce trop large ruban de bitume à flanc de dune, n’ait gâché le plaisir qui consistait à cheminer progressivement vers Cousseau, dans une sorte d’intimité paysagère, sans cassure. Certes, à vélo ou en trottinette, les visiteurs accèdent ainsi plus rapidement aux portes de la réserve, après avoir laissé leurs engins à roues et roulettes. Mais une partie du charme est rompue.
La Marine landaise
en son royaume
Pour revenir aux stars, parfois invisibles, de Cousseau, les Marines landaises, « les premiers animaux ont été achetés en 1988 et sont arrivés ici, côté marais, en 1990 », se souvient François Sargos, conservateur depuis « fin 1982 » de cette réserve naturelle créée en 1976. Avec celui que l’on peut surnommer le capitaine Cousseau, nous crapahutons à travers les sentiers, dans les coulisses de la réserve, en dehors de la boucle de promenade autorisée. À son arrivée ici, tout était à faire ou presque. Le foncier de la réserve était privé ; il est aujourd’hui public. La qualité de l’eau de l’étang était problématique. « Il a fallu restaurer le marais. » Et, détail qui a son importance, supprimer les poubelles qui étaient des incitations à laisser ses déchets sur place. Sans poubelles, la réserve se porte tout aussi bien. Le lieu inspire une forme de respect. Et comme il faut marcher un peu, le… tri des visiteurs est sélectif.
Sans programme de conservation de cet espace patrimonial, il n’en resterait rien ou si peu. Il a fallu sauver les « barins », ces dépressions humides intradunaires. Sans intervention humaine, ces espaces superbes seraient fermés, étouffés. Si les vaches sont si bien traitées à Cousseau, c’est aussi parce qu’elles « travaillent ». Leur présence permet de garder les « barins » ouverts. Alors, on leur doit bien un peu de foin pour les fortifier et les encourager. Mais rien d’autre. Les vaches marines sont pour le reste autosuffisantes, se nourrissent au gré de leur circuit de déplacement dans la réserve. Si le cheptel est limité, c’est parce que la partie forestière de Cousseau ne pourrait en supporter davantage. Une bête pour trois hectares dans le marais, une bête pour dix hectares en forêt : c’est l’équilibre qu’il faut respecter.
Cap sur l’océan ?
Il faudrait de très grands espaces pour un cheptel composé pour moitié de femelles et pour moitié de mâles. « On ne peut pas garder tous les mâles », explique François Sargos. Les veaux « surnuméraires » sont envoyés en boucherie, la viande est vendue en circuits courts, localement. La gestion génétique de la race exige également d’éviter à tout prix la consanguinité.
À 59 ans, François Sargos compte bien mettre en place les conditions adéquates pour aller au bout de la logique de reconstitution de la race Marine landaise et de la présence de troupeaux dans leur milieu d’origine. 90 % du marais et 80 % de la forêt de Cousseau sont déjà accessibles aux vaches. Un pas de plus sera franchi cet hiver, au mois de février ou de mars 2021. Les vaches « pourront aller dans la partie publique » de la réserve. On les imagine déjà dans la clairière, au pied de la tour de Galip. Se laisseront-elles approcher, photographier, en fonction de l’affluence ? Ce sont elles qui fixeront les règles du jeu avec les visiteurs. Certaines sont craintives. D’autres prennent la pause. Si les vaches passeront bientôt des coulisses de Cousseau à la zone accessible à la visite, l’inverse n’est possible que sur demande, lors de visites guidées. Cinq animateurs, étudiants, viennent en été grossir les rangs de l’équipe des six agents salariés (sur fonds publics) par la Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), gestionnaire de la réserve.
Pour parachever le travail de long terme, François Sargos verrait bien Fauvette et les autres pouvoir pousser davantage vers l’ouest, jusqu’à l’océan, comme le faisaient autrefois les vaches marines, avant qu’elles ne soient quasi exterminées sur l’autel d’un programme de fixation de la dune par la plantation industrielle de pins, le Code forestier ayant décrété que le pâturage était interdit en forêt.
Avant de voir les belles robes et les cornes fières des vaches marines sur une plage, c’est un long chemin, technique, réglementaire et quasi-diplomatique. Il faut de la patience et ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
Auteur : Dominique BARRET
Photos : Journal du Médoc










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