Nous vous ferons grâce ici, chers lecteurs, d’une réouverture de la violente polémique qui a agité le microcosme anglais, sur fond de puritanisme hypocrite, à propos de la sexualité de William Shakespeare (1564-1616) : le dramaturge était-il homosexuel ? Si le cœur vous en dit, vous pouvez toujours vous plonger dans une analyse des sonnets, notamment le 116, de Romeo and Juliet (1597), afin de mener cette enquête aussi palpitante que vaine consacrée à l’orientation sexuelle de l’auteur, poète et acteur anglais.
Ce qui nous occupe dans l’immédiat, ce sont deux réactions engendrées par la publication dans Le Journal du Médoc de deux articles (publiés le 17 janvier et 18 septembre 2020) annonçant le spectacle déambulatoire créé à Lesparre-Médoc par Antony De Azevedo : une adaptation de Roméo et Juliette en Juliette et Roméo, les deux amoureux étant en l’occurrence deux amoureuses (lire ci-dessus). Ce n’est pas non plus la foire d’empoigne puisque seul notre vénérable correspondant de presse Serge Hourcan, présent dans nos colonnes depuis la création du titre en 1997, nous a fait part à plusieurs reprises de son courroux.
Après avoir partagé la semaine dernière un texte voué à la défense de la liberté d’expression et à la liberté tout court, publié par nombre de médias français, nous vous tenons informés de ce débat d’idées, à l’issue duquel, rassurez-vous, personne ne finira au bûcher.
Cause combat
Ainsi Serge Hourcan nous fait-il part de « son complet désaccord avec les reportages apologiques sur les réalisations du metteur en scène préféré de la ville de Lesparre et militant de la cause homosexuelle, à savoir Antony De Azevedo ». « Ce réalisateur de talent – la liberté d’un artiste ne doit aucunement être mise en cause – a tout à fait le droit de militer en faveur de l’homosexualité par le travers de l’art, estime Serge Hourcan. Car, très âgé, j’ai connu des époques tout à fait condamnables où l’on faisait la chasse aux »PD » et il est très louable qu’il en soit fini avec ces façons de penser et ces méthodes au caractère barbare. Mais comme l’on sait rarement s’arrêter en chemin, on semble vivre aujourd’hui dans l’extrémité inverse. Ainsi au plan national voit-on notamment ceux qui réclament l’entrée au Panthéon – en couple – des poètes de génie que furent Verlaine et Rimbaud, amants d’un temps d’une idylle qui se termina par un coup de pistolet. À Lesparre-Médoc, le metteur en scène de théâtre Anthony De Azevedo a choisi, avec l’assentiment de ses employeurs de la municipalité, d’utiliser le théâtre élisabéthain de William Shakespeare en le transformant pour les besoins de son combat en faveur de la cause qu’il défend. Ainsi, celui qui sans nul doute est un militant lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT) transforme-t-il les héros en héroïnes lesbiennes : ce fut le cas l’an dernier avec Hamlet, ça l’est à nouveau ces jours-ci avec Roméo et Juliette – devenu pour les besoins du combat militant Juliette et Juliette. »Ces textes ne sont pas sacrés, me dit-on, et un auteur a le droit de les réinterpréter. » À l’image de celui-ci qui, en Italie, en fin d’une représentation de Carmen, fait tuer Don José par Carmen, issue à laquelle n’avait pas pensé Bizet. Certes. Mais est-il pour autant nécessaire pour le Journal du Médoc de tomber en pâmoison devant un tel exercice de militantisme ? Il est des combats dont la noblesse n’apparaît pas de prime abord. Et notre journal ne se grandira que s’il sait montrer qu’il n’est pas militant de tous les combats. »
Le goût des autres
En guise de réponse, commençons par dire que ce n’est ni la première ni la dernière fois que Roméo et Juliette est l’objet, au théâtre comme au cinéma, de visions très personnelles qui s’évertuent à déconstruire la forme du mythe… Tout en le respectant. La réinterprétation qu’en fait Antony De Azevedo n’est pas d’une audace incroyable. En 2012, Olivier Py s’était attiré quelques critiques avec sa manière de passer à la moulinette de l’irrévérence la mièvrerie dans laquelle, selon lui, Roméo et Juliette est trop souvent cantonné.
Pour le reste, cher Serge Hourcan, s’il est arrivé au JdM d’ouvrir ses colonnes aux concours de miss ou à l’élection « Top Model » organisés par l’inénarrable Joseph Fragomeni (lire plus loin), peut-on en déduire que notre journal partage absolument le goût pour ces rendez-vous que d’autres estiment sexistes et dégradants pour les femmes ? S’il nous arrive de partir en reportage avec des chasseurs à la tonne ou un équipage de chasse à courre, peut-on en déduire que nous sommes des militants pro-chasse ? Et que dire si d’aventure nous accordons quelques lignes au cabaret transformiste de Couquèques ? Sommes-nous alors les propagandistes d’un pseudo-lobby gay ? Non, trois fois non.
La transgression et la provocation ne constituent pas notre ligne éditoriale. Seule nous intéresse la pluralité des opinions, si possible argumentées, assumées et non pas planquées derrière l’anonymat crasseux des corbeaux. Suite à la publication du premier article concernant ce Juliette et Roméo, au mois de janvier dernier, nous avions reçu un courrier, fort instructif, notamment à propos de la notion de liberté, dans lequel le père Sébastian Gozdziejewski, curé de la paroisse, expliquait pourquoi la scène des funérailles n’a pas pu se tenir en l’église Notre-Dame de Lesparre-Médoc, comme l’envisageait le metteur en scène. Mais l’homme d’Église a refusé, à notre grand regret, que nous en publiions la substantifique moelle. Se disant sans doute que cette tempête dans un bénitier ne devait pas virer à la polémique stérile.
Au balcon
Autre réaction, celle de Joseph Fragomeni, président de l’association Le Fil Rouge du Médoc, fondateur du Palais du costume. Celui que l’on surnomme Mazarin voit rouge depuis que les affiches de Juliette et Roméo ont envahi « sa » ville. Criant au sacrilège, il avoue même être allé, la veille de la représentation, allumer un gros cierge en l’église Notre-Dame en priant Dieu pour qu’il pleuve. Et il a plu ! S’il commande aux éléments, alors il est urgent qu’à la prochaine sécheresse, les agriculteurs fassent appel à Mazarin pour que sa danse de la pluie leur soit bénéfique.
Choqué par ce qu’il estime être le détournement d’une pièce classique, il raconte ce à quoi il a assisté depuis le balcon de son « palais », situé à l’étage du cinéma Jean-Dujardin, dans un espace mis à disposition par la mairie : « J’ai vu hier soir […] trois cercueils alignés sur le parvis de l’église Notre-Dame (ceux de Roméo et Juliette et de Tybalt, cousin de Juliette), sortir des personnages minablement vêtus, entourés d’une vingtaine de spectateurs, famille des acteurs, serrés les uns près des autres, sous des parapluies multicolores, le reste de la place étant désespérément vide […] Je pense que cette pièce aurait dû être annulée. Pourquoi avoir laissé tous ces jeunes sous une pluie qui a dû les transpercer jusqu’aux os ? Encore heureux que les enfants des écoles soient déjà sortis ! Ils n’auraient pas compris le sens de cette »mascarade », moi qui m’évertue à leur raconter la »vraie » histoire de Roméo et Juliette, dont une scène figure en bonne place au Palais avec tous les personnages des familles Capulet et Montaigu. Je considère cette cérémonie comme une agression, comme une provocation pour venir jouer cette belle pièce shakespearienne, juste sous mon nez ! Le balcon où devaient se produire les deux »tourterelles » se trouvant être sis juste au-dessus de la porte d’entrée du Palais du costume ! J’ai honte que la responsable de la culture à Lesparre ait donné son feu vert pour une manifestation digne d’illustrer le syndrome de Münchhausen ».
Le Gai savoir
C’est peut-être le moment de lire ou relire Le Gai savoir (1882), dans lequel Friedrich Nietzsche, parmi d’autres aphorismes, livre cette pensée : « Je ne veux pas faire de morale, mais à ceux qui en font je donne ce conseil : si vous voulez finir par prendre aux meilleures choses et aux meilleures conditions tout leur honneur et toute leur valeur, continuez, comme vous avez fait jusqu’à présent, à les avoir sans cesse à la bouche ! Placez-les en tête de votre morale et parlez du matin au soir du bonheur de la vertu, du repos de l’âme, de la justice immanente et de l’équité : si vous en agissez ainsi, tout cela finira par avoir pour soi la popularité et le vacarme de la rue : mais alors, à force de manier toutes ces bonnes choses, l’or en sera usé, et plus encore : tout ce qu’elles contiennent d’or se sera transformé en plomb ».
Dominique BARRET