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dimanche, avril 2, 2023

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La revanche des circuits courts

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C’est jour de marché et à mesure que l’on s’approche des étals, un sympathique brouhaha se fait entendre. Cueillis par son parfum grillé, un peu caramélisé, des badauds se laissent tenter par le stand de volailles. Un peu plus loin, d’autres choisissent leurs légumes tandis qu’un commerçant au bagou enthousiasmant invite une petite troupe à goûter quelques échantillons de l’une de ses préparations, afin de convaincre efficacement d’acheter ses plats à emporter…

Dans de nombreux villages du Médoc, qui jusqu’alors ne la connaissaient pas, cette scène est devenue familière depuis la fin de l’année 2020 ou le début de l’année 2021. Trois communes du Sud-Médoc semblent avoir amorcé cette tendance : Saumos, qui a inauguré son premier marché jeudi 17 septembre 2020 ; Salaunes, qui en a fait de même une semaine plus tard, samedi 26 septembre et Sainte-Hélène, qui a lancé le sien samedi 17 octobre.

Les élus des trois communes ne s’étaient pourtant pas concertés sur la question. Ils ont toutefois été motivés par des raisons similaires : le désir de dynamiser des communes trop longtemps perçues comme des  » villages-dortoirs « , où l’on passe parfois sans s’arrêter pour aller de Bordeaux jusqu’à l’océan ; de proposer aux habitants quelque chose qui leur permette de se rencontrer, afin d’entretenir l’esprit d’appartenance à un même village ; tout en leur permettant de consommer des produits locaux et ainsi, de faire vivre un commerce de proximité très touché par la crise du Covid-19.

Halte aux  » villages-dortoirs  » !

Paradoxalement, ce même Covid-19 semble avoir été le moment d’une remise en cause générale de la population française concernant ses habitudes de consommation. Les marchés alimentaires, moments d’aération autorisée d’un premier confinement très strict, occasion hebdomadaire de retisser du lien social, ont alors connu un regain d’enthousiasme. Et c’est bien ce qui a donné quelques idées aux créateurs de ces nouveaux marchés, à l’époque pas encore élus, même si tous affirment que ce besoin se faisait ressentir bien avant le confinement. « Durant le premier confinement, on a senti qu’il y avait un vide alimentaire à Saumos, se souvient Laurent Toussaint, premier adjoint au maire. Alors il m’a pris d’appeler un boulanger pour savoir s’il lui était possible de livrer dans le secteur. Ça s’est bien passé alors après, j’ai appelé un poissonnier et un boucher et j’ai organisé des livraisons à domicile. C’était une initiative personnelle. On n’était pas encore élus à l’époque, mais j’ai senti qu’il y avait un besoin. On avait déjà monté notre liste, puisque c’était avant le premier tour, et on avait créé une page Facebook qui était bien suivie. Le marché était un projet de campagne, on ne pensait pas commencer par ça, mais ça avait émergé dans notre liste de choses à faire et le succès des livraisons à domicile durant le premier confinement a fait office de test validé. «  L’élu fait une pause et ajoute :  » Il y a le contexte aussi, cette image de ‘’village-dortoir » qu’avait le village. On a voulu faire bouger les choses. Si on a été élus c’est aussi grâce à ça, je pense, cette volonté de faire avancer les choses. Aujourd’hui, Saumos, c’est 550 habitants. Pour nous, il est inconcevable que la commune ne soit qu’une étape de passage sur la route du Porge. On veut faire en sorte que les gens s’arrêtent. « 

Au Temple, Johan Rambaud, conseiller municipal qui a œuvré à la création du marché communal, ouvert – mais pas inauguré pour les causes que l’on sait – dimanche 4 avril 2021, tient presque mot pour mot le même discours.  » Le Temple est un peu une ville-dortoir. Il ne se passe rien et il n’y a pas de marché à part au Porge et à Saumos, des jours où souvent les gens travaillent. Il n’y a pas de commerce ; quand on fait des courses, on va au Porge. «  Alors, à peine élue, la nouvelle équipe municipale s’est lancée dans la mise en place du marché dominical, quitte à vaincre quelques réticences.  » Il a fallu se battre un peu, parce qu’au début les commerçants n’étaient pas forcément très chauds pour se lever un dimanche matin pour venir dans une commune avec aussi peu d’habitants. Mais on a beaucoup communiqué sur place : on a notamment diffusé 2 500 flyers. Et finalement, dès la première journée, les commerçants ont été ‘’dévalisés » : il y avait par exemple un marchand de canelés ; à 11 heures, il n’en avait plus. Les huîtres, pareil.  » Le succès a été tel que le marché affiche désormais complet, avec 21 commerces alimentaires, qui devraient être rejoints – dès que les consignes gouvernementales les y autoriseront – par 12 commerces non alimentaires.  » Le seul commerce qui nous manque actuellement, c’est un boucher « , glisse le conseiller municipal, qui dit être actuellement en pourparlers pour recruter l’un d’entre eux. Parmi ces différents stands, des produits d’épicerie bio écoresponsable ; deux primeurs approvisionnés en produits locaux, de la bière artisanale canaulaise, des porcs élevés en plein air à la ferme du Petit Ludée à Sainte-Hélène. Car, à l’origine de ces marchés, de l’aveu-même des élus, il y a aussi une recherche affichée d’  » écoresponsabilité « , de  » circuits courts «  et de  » bien-manger « .

Proximité et qualité

Pour Laurence Hédoux, adjointe à la communication, au développement économique, au développement durable et aux espaces verts de Sainte-Hélène, c’était une évidence.  » Pour moi, le marché faisait partie à la fois du développement économique et du développement durable. Une de nos promesses de campagne était d’ailleurs de ramener un marché dans la commune car il y en avait un qui existait mais il n’a pas duré longtemps. L’idée était pour moi de proposer aux habitants des produits locaux et de redynamiser la commune. « 

 » Je suis moi-même impliquée dans l’écologie car ma famille est engagée dans le 0-déchet depuis cinq ans déjà. Je ne vais plus dans les supermarchés : j’achète du vrac, des produits locaux, en circuits courts. L’idée de proposer des produits locaux, de bonne qualité, en circuits courts, ça répond aussi au fait de ne pas devoir à chaque fois prendre sa voiture pour faire ses courses. Avant, les gens qui voulaient des produits frais devaient aller à Castelnau ou à Saint-Médard-en-Jalles. Là, on peut avoir des produits de qualité quasiment sur le pas de sa porte. Le premier confinement a marqué, il me semble, le premier boom de cette volonté de consommer mieux. « 

Bien qu’elle reconnaisse que tous les produits ne sont pas bios ou issus de l’agriculture raisonnée, Laurence Hédoux insiste sur l’exigence de qualité qui prévaut sur la sélection des produits.  » On y fait très attention. Chaque candidature est étudiée en vérifiant que le produit correspond à nos attentes en termes de qualité : local, bio, raisonné… Le développement durable était vraiment un des gros points de notre programme, assure-t-elle. Avant de lancer le marché, on a fait passer un GoogleForm1 sur la page Facebook de la commune afin de mieux connaître les habitudes de consommation des habitants. À quels marchés allaient-ils ou pas ? Pourquoi ? Quel type de produits achetaient-ils ? Quel jour ? On s’est aperçu que si les gens ne trouvaient pas de bons produits, ils n’y allaient pas. Et puis la plupart des gens qui allaient au marché le samedi matin allaient à Saint-Médard-en-Jalles, pas à Lacanau ni à Castelnau, donc on ne faisait pas de concurrence aux autres communes du Médoc. « 

Bien que l’après-confinement les ait vus éclore de façon significative, les marchés de villages ne sont d’ailleurs pas les seuls types de commerces en circuits courts à bénéficier de ce regain d’intérêt pour le local. À la maison des producteurs de Cissac-Médoc, Vincent Monchany, l’un des associés fondateurs, dit l’avoir également ressenti.  » Durant le premier confinement, le phénomène le plus marquant pour nous a été une hausse assez marquée du montant du panier moyen, même s’il y a aussi eu une hausse du nombre de paniers, affirme-t-il. Après, ça a baissé, mais on a tout de même constaté une hausse de 20 % en moyenne en 2020, avec la même dynamique sur les trois premiers mois de 2021. « 

Pourtant, les confinements successifs ne sont pas vraiment un atout, au départ, pour ce type de structure.  » La clientèle un peu plus loin a été moins captée lors des confinements ou avec les restrictions de déplacement, reconnaît le producteur, car il y a eu moins de passage vers les résidences secondaires. D’habitude, il y a l’effet ‘’montée ou descente du Médoc » : on bénéficie de la venue de gens qui habitent Bordeaux et qui en profitent pour venir faire leurs courses. «  Mais les Médocains sont venus plus volontiers, à la recherche de produits de qualité. La maison des producteurs des Fermiers Toqués, à Cissac-Médoc, première du genre dans ce secteur, rassemble actuellement une quinzaine d’associés et une vingtaine de non associés, essentiellement du Médoc et presque tous de Nouvelle-Aquitaine.  » Il n’y a que pour les fromages qu’on déroge à la règle en faisant venir des appellations d’autres régions « , indique l’éleveur de bovins. Mais pour les producteurs locaux, le Covid a bien eu un effet positif, selon Vincent Monchany :  » Le Covid a été favorable en partie à l’agriculture française, à part pour quelques produits d’export comme le vin, à cause de la fermeture des frontières. Mais justement, pour nous, cette fermeture des frontières a fait connaître nos produits, elle a permis de montrer que nous avons de super produits en France ; pas seulement pour notre magasin de producteurs « , se réjouit-il.

 » Créer du lien entre producteur et consommateur « 

À Eysines, aux portes du Médoc, une maison de producteurs appelée  Copains des champs, dans la même veine que celle des Fermiers Toqués, a ouvert ses portes en novembre 2020.  » La genèse de ce projet, c’est que j’avais monté une start-up pour mettre en relation les producteurs régionaux et les restaurants de Bordeaux, raconte Marc Danguy des Déserts, gérant du magasin. Cette expérience a fait que j’ai rencontré pas mal de monde et notamment mes associés, Guy Dehez et Bruno Castaing – éleveurs et producteurs de canard – et Anne-Marie Destang, productrice de porc noir. On a eu l’idée de monter cette maison de producteurs qui fonctionne sur le modèle du dépôt-vente car c’est une vraie alternative pour la vente directe, dont le problème est qu’il faut à la fois gérer l’exploitation et la logistique et le commerce, ce qui prend beaucoup de temps. On a trouvé une centaine de producteurs régionaux pour alimenter le magasin. Et ces producteurs viennent régulièrement le week-end pour présenter leurs produits aux clients : il y a un côté pédagogique, ça permet de créer du lien entre le producteur et le consommateur. Ainsi, le consommateur pose plein de questions et le producteur est content de parler de ce qu’il fait ; les gens sont curieux et il y a une vraie fierté, pour le producteur, à expliquer son travail. « 

Visiblement, les consommateurs s’y retrouvent. Mardi 13 avril au soir, André et Hélène Remaud, habitants de la commune voisine du Bouscat, sont justement en train d’y faire leurs courses.  » Ça fait trois ou quatre fois qu’on vient, calculent-ils. On allait de temps en temps à La Compagnie Fermière à Mérignac, mais ici, c’est plus près. Nous, ce qu’on recherche, c’est que les produits ne passent pas par des tas d’intermédiaires. On veut faire travailler en direct les producteurs et les petits commerces. On a tellement la sensation qu’ils se font avoir ! Tant qu’à payer le même prix, voire un peu plus cher, autant qu’ils y retrouvent leur compte ! Et puis les produits sont de bien meilleure qualité qu’en grande surface « , salue le couple de retraités. Quant à Jérôme Laborde, Bordelais de 45 ans, il a profité de la situation géographique favorable du magasin – pile en face de l’arrêt du tram  » Hippodrome  » – pour se laisser tenter. Plus habitué à fréquenter les marchés, il est un fervent défenseur des circuits courts.  » Durant la première partie de ma vie, je me nourrissais n’importe comment, mais depuis la naissance de ma fille, il y a dix ans, je privilégie les transports en commun et les produits locaux. J’espère que ce mouvement s’amplifiera le plus vite possible. Le bio et le local, c’est ce qu’il y a de mieux.  »

Un enjeu stratégique

Ce projet de maison de producteurs, Marc Danguy des Déserts et ses associés ont mis deux ans et demi à le monter ; ce n’est donc pas le fruit du confinement. Mais pourquoi avoir choisi d’implanter ce premier magasin – ils en ont très récemment ouvert un deuxième à La Teste de Buch – à Eysines, porte du Médoc, plutôt qu’au cœur de la Métropole ? Il y a à cela une raison stratégique.  » Eysines est historiquement le jardin bordelais, une terre de production maraîchère, explique le responsable de Copain des Champs. Le maraîchage, c’est là que c’est le plus compliqué d’avoir des produits frais tous les jours en magasin, il y a donc une nécessité de proximité entre le lieu de production et le magasin. Nous travaillons notamment avec Les Jardins de Quentin : les salades que nous proposons en rayon sont des salades fraîches, cueillies tous les matins. « 

Ne pouvant en revanche pas pêcher le poisson directement à proximité d’Eysines, les producteurs font appel à Oh ! Matelots !, site dirigé par Yann Le Guen et Aymeric Richard. Il s’agit d’une plateforme internet où les clients commandent le poisson pêché la veille et se font livrer deux fois par semaine au magasin de producteurs. Yann Le Guen insiste lui aussi sur l’importance du circuit court :  » On se fournit vraiment chez les pêcheurs locaux, notamment Camille Giraud, à Saint-Vivien-de-Médoc. On travaille avec des bateaux de moins de 12 mètres, qui privilégient des méthodes de pêche douce. Les pêcheurs sont mieux rémunérés parce qu’on fixe les tarifs avec eux, donc ils ne sont pas soumis à des cours fluctuants et on livre en moins de 48 heures, en indiquant la provenance du poisson, avec les noms du bateau et du pêcheur, en toute transparence. « 

La création d’un marché de village répond elle aussi à une intense réflexion stratégique.  » Nous avons installé le marché au niveau de l’église et du cimetière, sur la place de l’église, décrit Johan Rambaud, conseiller municipal au Temple. Pour nous, c’est un emplacement stratégique car notre démarche est à la fois de répondre aux besoins des administrés, d’offrir un service à la population, mais aussi que ça fonctionne pour les commerçants. Or, le centre bourg est un axe passant. On aurait pu faire le marché près des écoles : il y aurait eu plus de place, mais c’est un peu excentré. Si les gens ne passent pas devant, ils ne s’arrêtent pas. En ce sens, le confinement n’est pas stratégiquement bon pour nous car nous sommes sur les axes routiers du tourisme, notamment les accès aux plages d’Arcachon et du Porge. En s’y rendant, les gens passeront devant le marché et les commerçants pourront en bénéficier. Actuellement, les gens ne peuvent pas aller à la plage donc on a une clientèle bordelaise qui devrait venir et qui n’est pas là. «  Le conseiller municipal confesse en outre que ce marché n’est que le fer de lance d’une politique de création plus large de services de proximité.  » Pourquoi pas créer un marché couvert ? En plus, il y a pas mal de parkings, donc les gens peuvent se garer pour venir faire leurs courses. Nous songeons aussi à faire des terrassements en bois pour installer des guinguettes et faire de ce marché le cœur d’un espace de partage et de convivialité. Ça ne pourra pas se faire avant l’année prochaine, nuance le conseiller, car tout est fait bénévolement par les élus. « 

Dans le même ordre d’idée, Laurence Hédoux, à Sainte-Hélène, explique :  » On a installé le marché en face du garage Motrio, parce que c’est goudronné – or, ça fait partie des normes à respecter – c’est une route que l’on peut fermer sans gêner la circulation, c’est très central ; on peut y venir à pied et il y a de quoi se garer. On a aussi la volonté d’y faire une halle de marché couverte sur l’esplanade, où actuellement, il n’y a rien. C’est un projet sur lequel on travaille. D’un point de vue stratégique, c’est intéressant, parce que ça nous permettrait d’étoffer le marché sans le déplacer et ça, c’est important, parce qu’une fois que les gens ont l’habitude de venir à un endroit, c’est compliqué de le déplacer. «  L’élue confie avoir potassé la législation en vigueur avant de décider comment serait organisé le marché, ce type de commerce étant soumis à une stricte réglementation.  » Je me suis renseignée sur la législation concernant le commerce ambulant et auprès des syndicats. Ils m’ont aidée à définir le lieu, puis j’ai consulté Chrystel Danois, conseillère municipale très investie dans l’AMAP de Sainte-Hélène pour le recrutement. Le bouche-à-oreille et les groupes Facebook ont aussi joué, avec toujours l’exigence de privilégier les produits locaux du Médoc. « 

Renforcer le lien social en permettant aux habitants d’un village de se rencontrer chaque semaine dans une ambiance conviviale, par-delà les divergences politiques et les conflits générationnels ; favoriser le commerce et les produits locaux ; redynamiser un centre-bourg ou un quartier délaissé ; créer de l’activité et de l’attractivité ; les circuits courts ont donc tout pour plaire à des communes médocaines soucieuses de montrer la qualité de vie qu’elles sont capables d’offrir et ainsi d’affirmer qu’elles n’ont rien à envier à la Métropole. Et n’ont donc probablement pas fini d’émerger.

Auteur : Raphaëlle CHARGOIS

Lionel Montillaud inaugurait le 17 octobre le marché de Sainte-Hélène. Depuis, son succès n’a fait que se confirmer. PHOTO JDM-PJ

Yann Le Guen, dirigeant de l’entreprise Oh ! Matelot, qui achète des poissons directement aux pêcheurs pour les vendre sur commande aux particuliers dans des commerces de proximité, est aux côtés de Marc Danguy des Deserts, directeur du nouveau magasin de producteurs Copains des champs. PHOTO JDM

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